Pour en revenir à l’écoulement du temps dans chaque plan, je voudrais souligner l’exemple d’un passage du temps très ambigu dans L’Enfance d’Ivan (1962) de Tarkovski. Il s’agit d’une scène dans laquelle le jeune Ivan s’endort en rêvant à certains souvenirs de son enfance. La caméra présente d’abord la main du garçon pendant entre les barreaux du lit, puis elle se tourne vers le haut pour présenter ce qui devrait être le plafond de la chambre dans laquelle se trouve l’enfant. Pourtant, ce que nous voyons au-dessus d’Ivan n’est pas l’intérieur de sa chambre, mais plutôt l’image de ses souvenirs. Ivan n’est plus dans une pièce fermée; il se trouve à présent dans un puits et semble se regarder dormir au fond du gouffre. À l’intérieur d’un même plan, Tarkovski nous permet ainsi d’effectuer un passage entre deux mondes et d’abandonner le présent pour revenir au passé.
André Bazin voyait l’utilisation de longs plans comme étant plus réaliste que la tradition du montage puisqu’elle offre une représentation du temps conforme à notre réalité. Elle ne manipule pas le temps entre chaque plan par la coupure apportée par le montage. Néanmoins, cette scène de L’Enfance d’Ivan remet nettement en question cette notion de réalisme. Le plan décrit ici ne dure que quelques secondes pour le spectateur, mais il permet à Tarkovski de sauter dans un autre lieu et de revenir à une autre époque. Lorsque Tarkovski affirme que ce qui compte au cinéma est la façon dont le temps s’écoule dans chaque plan, c’est que pour lui, le temps tel que nous le percevons chaque jour, la chronologie et la succession des minutes n’ont tout simplement pas d’importance au cinéma. C'est une toute autre temporalité qui s'y déploie.
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