« Maintenant suposez qu'un personnage se trouve dans une situation, quotidienne ou extraordinaire, qui déborde toute action possible ou le laisse sans réaction. C'est trop fort, ou trop douloureux, trop beau. Le lien sensori-moteur est brisé. Il n'est plus dans une situation sensori-motrice, mais dans une situation optique et sonore pure. C'est un autre type d'image. Soit l'étrangère dans Stromboli : elle passe par la pêche au thon, l'agonie du thon, puis l'éruption du volcan.
Elle n'a pas de réaction pour cela, pas de réponse, c'est trop intense :
"Je suis finie, j'ai peur, quel mystère, quelle beauté, mon Dieu..." (...)
C'est cela, je crois, la grande invention du néo-réalisme : on ne croit plus tellement aux possibilités d'agir sur des situations, ou de réagir à des situations, et pourtant on n'est pas du tout passif, on saisit ou on révèle quelque chose d'intolérable, d'insupportable, même dans la vie la plus quotidienne.
L’expression « cinéma de voyant » dont parle Deleuze est intéressante compte tenu du fait qu’elle s'appuie sur une modalité du « sentir » que le cinéma pose par une esthétique de l'événement. Ce qu’elle permet est d’abord de repérer une alternative à la perception du temps calquée sur la juxtaposition. Ainsi, l’accent est mis non pas sur le défilement des plans, mais plutôt sur des des plans spécifiques desquelles le mouvement découle : des « images-temps directes », présentations directes du temps. Le mouvement va alors non seulement dans une seule direction, mais plutôt tous azimuts à partir du plan, à travers celui-ci.
Cette conception est utile pour nous faire pénétrer les dimensions profondes de notre « être dans le temps » car cette esthétique de l'événement dévoile subtilement des ramifications virtuelles du possible. Alors que dans le présent tout est possible, le futur ne peut marcher que sur une seule voie. Contrairement au déterminisme de la logique de la juxtaposition, dans l’immédiateté de l’événement se dévoile un spectre relationnel illimité, le virtuel étant essentiellement infini. Le présent ne va plus alors vers une résolution de conflit, mais se suffit à lui-même par l'absence de réaction. L'action devient implosive plutôt qu'expansive. Elle rentre toute dans le présent.
Si le présent ne rend visiblement compte que d’une partie de la réalité pour laisser inaperçu tout plein d’autres possibilités, c’est dans la « sensation » de l’événement que crient et sautillent et sommeillent tout plein de relations non localisables.
1 comment:
Magnifique, Ana. C'est peut-être moins que le présent rend compte que d'une partie de l'expérience (ce qui me donne l'impression qu'il y a une autre partie de l'expérience cachée en qqpart!) que le fait que l'expérience ne se passe jamais dans un présent qui n'est pas, comme James dit, "specious." Question de formulation, c'est tout!
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